Les vieux de mon village, qui le tenaient eux même des anciens d’autrefois, aimaient à conter l’existence d’un cimetière protestant oublié de tous. Nul ne pouvait en donner l’emplacement et cette histoire faisait surtout figure de légende.
La fameuse tempête de 1999 dévasta une partie des forêts de ma région, les plus beaux arbres périrent arrachés ou cassés. Ma maison ne fut pas épargnée, dépossédée d’une partie de ses tuiles. Dans le jardin, un pêcher et un prunier ne purent résister au vent. Il me fallut quelques jours pour mettre hors d’eau mon habitation et restaurer mon verger.
Pour me changer les idées, je décidai de m’aventurer sur la colline boisée jouxtant ma propriété. De par sa position stratégique et sa situation élevée, l’homme avait investi ce lieu depuis la nuit des temps jusqu’à la royauté.
En partant en randonnée avec Tommy, mon chien de l’époque, j’espérais que les excavations causées par les chablis me livreraient des pierres polies, des fragments de poteries, ou des fondations de constructions.
Depuis de nombreuses années je m’intéressais au passé de mon village, faisant office d’historien local toujours en quête d’indices sur le terrain.
Le trajet pour accéder au sommet, surplombé par une tour en ruine, fut un véritable parcours du combattant. Je dus escalader les arbres tombés, parfois empilés sur deux mètres de hauteur, ou ramper sous ceux-ci. Mon chien pleurait dans les efforts pour progresser. Etant du genre pugnace je poursuivais mon ascension, ainsi, deux heures plus tard j’atteignis le haut du mont, sale, le visage griffé et le pantalon déchiré.
Je dominai alors l’étendue du désastre tel le survivant d’une planète détruite, à perte de vue devant mes yeux effarés tout n’était plus que désolation…
Jugeant le retour trop épuisant, je pris la décision de repartir par l’autre versant un peu moins boisé. À une centaine de mètres en contrebas de la colline, gisait le plus gros arbre de la région, un énorme châtaigner de quatre cents ans d’existence, pour un périmètre de huit mètres cinquante. Le spectacle du géant terrassé m’attrista profondément. Plus bas, deux beaux hêtres basculés d’une pente escarpée, racines dirigées vers le ciel, semblaient implorer dieu.
Continuant ma descente, j’arrivai maintenant sur une zone plus plane, un grand chêne y était couché, je remarquai alors, dans l’énorme motte de son pied, des blocs de plaque d’ardoise de dix à douze centimètres d’épaisseur. Piqué par la curiosité, je me mis à dégager ce qui m’apparut rapidement être une pierre tombale brisée.
Des lettres, encore dorées par endroits, étaient gravées dans la roche parfaitement lisse et de premier choix.
Je décidai de reconstituer grossièrement le puzzle qui s’avéra être l’épitaphe d’un seigneur, indiquant qu’il avait servi le roi ; un mois et une date apparaissaient sur un des éléments : Mars 1620.
Je me trouvai dans un état d’excitation et de questionnement intensif, étais-je l’inventeur du cimetière fantôme ? Il me fallait en avoir le cœur net.
Le lendemain matin de bonne heure, j’étais sur place avec une pelle et une petite pioche et fouillai dans la cavité libérée par la chute du chêne.
En surface je mis au jour d’autres morceaux de pierre tombale, puis, creusant un peu plus profondément, j’eus la réponse qui me manquait … Mon coeur battait la chamade : un contemporain de louis XIII reposait là, à mes pieds.
Ce n’était donc pas une légende… mais curieusement je n’avais pas envie de partager cette découverte, je voulais la garder rien que pour moi et pour eux : « ceux du dessous ». J’imaginais des tas de gens courir partout, prendre des photos, jalonner, creuser, remuer le linceul sableux et en extirper les restes des occupants.
Ma décision fut vite prise, je plaçai les blocs de tombe au côté du noble et rebouchai tout.
Un peu plus loin, au pied d’un charme renversé, je devinai une autre sépulture à laquelle je rendis l’anonymat après une bonne heure de terrassement.
Je comprenais maintenant bien des choses, les livres attestaient qu’un culte protestant était célébré dans le château de ma commune, c’était sans doute les châtelains qui reposaient là.
J’avais constaté que les pierres tombales avaient été martyrisées et les noms effacés à coups de marteaux et de burins.
Je pense aujourd’hui détenir la solution : à la révocation de l’édit de Nantes (1685), le cimetière avait été probablement livré à la vindicte populaire. Les sépultures saccagées, les pierres tombales détruites à la masse. Puis le temps ayant fait son œuvre la nature reprit ses droits, dissimulant le lieu de repos éternel.
Au moment où j’écris ces lignes, dix années se sont écoulées, des arbres ont repoussé, plus de traces de la tempête ni de ce qu’elle m’avait permis de découvrir, je suis le gardien du secret et le garant du sommeil des morts.
Aujourd’hui encore, lorsque mes pérégrinations me mènent sur ces lieux empreints de mystère, j’ai toujours un regard et une pensée pour ceux qui dorment là.
Commentaires de l’ancien blog
— Pascal du Jura 16/02/2019 22:06
Tombé par hasard sur votre blog. J’ai lu une belle histoire d’amour entre vous et ces « inconnus ». Vous avez raison les plus belles histoires d’amour ne se partagent pas. Alors chut… Laissez les dormir en paix loin des archéologues nécrophages…
— Sylvain 15/11/2015 10:35
Une bien belle histoire. ça ferait un bon livre ça et en plus c’ets bien écrit.
Je me suis mis à rêver également pour un moment… 🙂
— Isabelle, SAT .08/06/2014 07:38
Marc, as-tu pu recopier ces éléments de textes avant de les rendre à la terre?
— soukha 02/04/2013 13:44
Bonjour, la culture ca se partage !
— Manu 09/12/2012 12:05
Contactez donc les archéologues locaux qui seront faire parler ces tombes surement plus que vous ne le pensez. Cela permettra à tous ceux du coin de savoir ce qu’il s’est passé dans leur région.
— Jer 15/03/2012 20:57
Magnifique cette histoire ! Un secret bien gardé.
Bonne soirée
— didier 10/04/2011 17:32
superbe récit , écrit avec beucoup d’amour
merci
— hugh 05/03/2011 19:00
parmi toutes vos histoires ,celle ci me me plait le plus ,l histoire ,l écrit ,un délice merci
( j aime aussi les moustiques bien sur )
hugh
—Fabrice 23/11/2010 20:02
que du plaisir
bravo à l’as de la plume
— annie 23/11/2010 20:27
Bravo pour l’écriture !
— tony 20/10/2010 21:13
très belle découverte .
— ClaudiusDeux, 01/10/2010 01:45
Joliment écrit.
Je me suis mis à rêver pendant un moment.
Merci pour cette belle histoire.
— Lara Croft 🙂 24/06/2010 20:06
J’adore ce récit… C’est comme si on y était. Tu as de la chance d’être le gardien de ce secret…. bisous Mon ami
— vertigo06 18/04/2010 23:21
bonsoir Marco,
Ton témoignage me touche en tant que personne mai aussi en tant que chercheuse en généalogie.. et ton cimetiere pourrait permettre de retrouver « des ancêtres » pour des chercheurs comme moi..
je viens d’apprendre qu’avant la Révolution, les ancêtres de ma mère, en Gironde, étaient protestants.Personne ne s’en souvenait dans la famille, tous bon catho…
— Reinette 29/03/2010 21:11
plaisant à lire.
bonne soirée
— Autre Vue 27/03/2010 19:49
Bel écrit
Salut l’ami Marc.
Je relis ton texte et des autres, qu’elle belle plume, plutôt un duvet d’oiseau tant c’est léger, on se laisse emporter par le vol de tes mots, tes phrases et tes pensées.
Tu es aussi bien un bon gentil dans tes récits qu’un opiniâtre acharné avec ta pelle et ta pioche dans le déblaiement d’une tour par exemple (pas celle de ton texte)
Garde bien ton petit cimetière secret, c’est un jardin tout à ton honneur, une fleur lorsque tu passes devant puisque c’est la pensée, la pensée des hommes, femmes et enfants oubliés.
Reste comme tu es l’ami.
J’attends d’autres récits de toi.
Fifi.
Bonsoir ami Fifi,
Merci pour ton gentil commentaire, je suis heureux que tu viennes visiter mon petit univers. Cette fameuse tour, j’ai vraiment de bons souvenirs des journées que nous avons passées sur ce site historique.
À bientôt Fifi
Marc
Bonsoir Marco,
Et 13 ans plus tard, qu’en est-il de ce lieu ?
Bonsoir Lily,
Bientôt 24 ans plutôt lol. Il y a quatre ans, des coupes de bois ont été faites sur le cimetière, sans rien dévoiler des sépultures. J’y suis repassé il y a deux mois, beaucoup de petits arbres sont présents sur le site.
Ne serais-tu pas Lily du Vaucluse, si c’est le cas ça fait un bail, donne-moi de tes nouvelles.
Bonsoir Marco,
Merci pour le descriptif récent de ce lieu resté secret pour le commun des mortels !
I’m shocked, quelle mémoire, et oui, c’est bien moi, on ne peut décidemment rien te cacher 😉 Pour moi, ça va, et toi, la vie est belle ?
Lily, pas de quoi être « shocked » lol, je me souviens très bien de toi et je suis heureux de te retrouver. Moi ça va bien. Au plaisir d’avoir de tes nouvelles. Bises
Incroyable histoire ! Ecrite avec talent qui plus est
Merci pour ton gentil commentaire.