Le Brochet

Au dessus, vous pouvez, si vous le désirez, écouter de la musique en parcourant cette histoire

J’avais fait la connaissance de ce couple lors d’un banquet, lui, la soixantaine, se trouvait fortement diminué à la suite d’un A.V.C. marchant avec peine et s’exprimant difficilement. Sa femme, de vingt ans sa cadette lui servait d’infirmière. C’était une jolie brune au corps harmonieux prénommée Marie, un visage angélique agrémenté de petites fossettes lui apportait un charme fou. Aucun héritier n’était né de cette union. Son mari la rendant responsable de ce fait, lui avait mené la vie dure jusqu’à l’accident cinq ans en arrière. Ils habitaient une magnifique ferme Briarde flanquée d’une tour à la sortie du bourg voisin.

Pendant le repas nous avions discuté de tout et de rien et très vite sympathisé. Je lui avais livré qu’il m’arrivait occasionnellement de traquer le brochet, je fus étonné qu’elle me propose aussitôt de taquiner le carnassier dans le vaste étang de leur propriété. Elle me confia que personne n’avait la permission d’y pêcher et cela depuis très longtemps. Je lui demandai si un ami pouvait m’accompagner, elle eut un instant d’hésitation, puis se reprenant acquiesça d’un sourire.

Fin septembre, quatre mois après l’avoir rencontrée, je contactai Marie par téléphone pour savoir si l’invitation tenait toujours, elle confirma avec une voix joyeuse…

Ce samedi matin dès huit heures nous sommes opérationnels, nos leurres en action sillonnent, virevoltent, envoyant mille feux argentés dans l’étang. Si Bébert ne jure que par les cuillères ondulantes, j’opte pour une tournante plombée en tête dotée d’un pompon rouge accroché au triple. Vers la queue de l’étang nous disposons deux cannes dont les lignes eschées de gros gardons reposent sur le fond. Bébert, en faisant passer adroitement sa cuillère sous une souche immergée remonte une perche d’une livre qu’il libère aussitôt. De mon côté, un « sifflet » de trente centimètres joue avec ma Mepps n° 3, mordillant le pompon.

Tout à coup l’avertisseur de touche de la canne posée de Bébert se met à sonner, nous accourons, la bête a déjà piqué cinquante mètres de fil ! Ce doit être un monstre car le « vif » qu’il emmène au large pèse facilement six cents grammes. Bébert empoigne son lancer et ferre, la canne plie à rompre, mon ami joue avec le frein pour contrôler le poisson qui continue à vider le contenu du moulinet…

Vingt minutes déjà que la lutte a commencé et maître Esox ne s’avoue toujours pas vaincu. Bébert réussit à trois reprises à ramener le carnassier, mais à chaque fois la bête vigoureuse regagne le milieu de l’étang sans que l‘on puisse l‘apercevoir. Contre toute attente, à la quatrième, l’animal commence à présenter des signes de faiblesse, puis médusés nous assistons à la montée en surface d’un « bétail » qui doit friser un mètre dix de long. Il claque du bec, ouvrant une gueule d’une taille à gober poules d’eau et rats musqués ; ses quelque sept cents dents essayant de cisailler le bas de ligne d’acier qui le hale vers la berge.

Sur ces entrefaites Marie arrive et assiste éberluée à la scène, nous nous regardons tous les trois, à cet instant, le brochet dans un ultime effort jaillit hors de l’eau, puis retombe sur le fil qui se brise dans un claquement sec. Le poisson longe la bordure sur une dizaine de mètres avant de regagner l’eau profonde où il disparaît. Bébert, hébété, fixe sa canne à pêche tristement. Je veux consoler mon ami, aussitôt il m’arrête et murmure : « Il a gagné, honneur aux braves ».

Dans la précipitation je me suis blessé avec un hameçon, mon doigt saigne, Marie qui l’a remarqué invoque le risque d’infection et m’invite à la suivre jusqu’à la tour aménagée en chambres d’hôtes… Derrière elle dans l’escalier, le parfum qu’elle exhale m’envoûte, je me surprends un court instant à contempler sa splendide chute de rein, me ressaisissant bien vite, un peu honteux.

À l’étage, elle pousse la porte d’une vaste chambre, pour extirper d’un placard une boite de premiers secours. Je la regarde en souriant me soigner, touché par tant de sollicitude ; elle aussi me sourit, mais l’expression de son regard vient de changer, elle ancre ses yeux dans les miens, gêné, je fais mine de m’intéresser à la décoration de la pièce. Marie se rapproche et se blottit contre moi, je sens alors la pression ferme de ses seins sur mon torse. Ses lèvres se posent sur ma bouche, bientôt sa langue rejoint la mienne.

Si dans ma tête une petite voix dit : « Arrête ! repousse la… c’est mal ! », plus bas, un organe vient de manifester clairement son envie de poursuivre l’action. Je me range finalement à l’avis inférieur. Ma main s’engage hardiment sous son corsage, la sienne n’est pas en reste non plus, glissant sur mon ventre pour stopper sur l’endroit maintenant déformé de mon pantalon. Je la pousse sur le lit, en quelques secondes nos vêtements défaits et jetés hâtivement gisent en désordre sur le sol de la chambre…

Midi sonne au clocher lorsque je sors de la tour derrière Marie ; Bébert adossé à la voiture paraît s’impatienter. Je prends congé de la maîtresse des lieux en lui serrant la main, penché à une fenêtre de l’étage du bâtiment principal son époux me salue amicalement, je lui réponds… assez mal à l’aise. Un dernier coup d’œil vers Marie et je retrouve mon pote, nous montons dans l’automobile et quittons la propriété.

Une fois sur la route Bébert se tourne vers moi :

« Gino, tu as fait le tour de la propriétaire ?…

Fusillé du regard, il affecte alors un air malheureux, je le frappe amicalement du poing sur l’épaule.

— Allez mon Bébert, il est l’heure de l’apéro, direction « Chez Lucien », c’est moi qui rince. »

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