De ma maison surplombant la plaine, j’aperçois le petit camion blanc garé sur le chemin proche de la nationale. Dans ce véhicule travaille une black, la trentaine d’années, dont le sourire découvre une canine proéminente et pointue, pouvant rendre par ce fait périlleuses pour les clients certaines de ses prestations.
Flanqué de mon chien Titus, mes promenades m’amènent parfois non loin de sa « boutique ». Jamais elle ne m’importuna, un signe de main ou de tête étant nos seuls rapports.
Pourtant, un jour, « la fille de joie » ouvrit son carreau et m’interpella. Après quelques banalités, elle m’interrogea sur le but de mes nombreuses incursions dans la forêt proche, je lui fis alors la confidence que j’étais un grand amateur de champignons devant l’Eternel, ce qui sembla l’amuser.
Bientôt nous conversions comme de vieux amis, son intelligence complétée par un français parfait me surprit. Je m’enhardis à lui demander les raisons qui la poussaient à vivre de son corps, elle répondit simplement : « Qu’ils ne lui laissaient pas le choix »… laissant par la même planer un lourd sous-entendu. Une voiture s’engagea dans le chemin, je m’apprêtai à céder la place, nos regards se croisèrent une dernière fois et à cet instant précis je lus dans ses yeux une immense détresse.
Une grave blessure au genou, suivie d’une opération avec complications, stoppèrent mes sorties forestières pendant quatre mois. Une fois rétabli je décidai de saluer la prostituée.
Une femme noire, plutôt forte, était assise à l’avant du camion, par la fenêtre ouverte elle me débita les tarifs pour chacun des actes qu’elle dispensait. Elle fut étonnée que je prenne des nouvelles de sa collègue et m’assura qu’elle ne savait pas ce qu’elle était devenue. Je pris congé sans plus de formalités, sur le chemin du retour j’étais songeur, avec comme l’impression d’avoir perdu une amie.