Le Petit Vase

Au dessus, vous pouvez, si le désirez, écouter de la musique en parcourant cette histoire

Je ne me souviens ni du jour, ni du mois d’ailleurs. La seule chose dont je suis certain, c’est que cette journée aurait pu être ma dernière. Mon cousin Didier devait avoir sept ans et moi à peine trois de plus. Nous faisions route, à bicyclette, vers un petit bois en bordure d’une route nationale.

A cette époque les enfants aimaient se retrouver dans les bois pour y construire des cabanes.

Nous venions tout juste d’arriver quand mon cousin remarqua quelque chose posé bien en évidence sur une souche, il s’en empara et s’écria :

« Regarde Marco un petit vase ! »

En même temps il commença à jouer avec l’objet le triturant entre ses doigts…

Je n’en croyais pas mes yeux, pour la première fois j’étais en présence de ce terrible objet lisse et pansu que le hasard de quelques lectures m’avait fait découvrir.

Je criai aussitôt à l’adresse de mon cousin :

« Attention c’est une grenade !  

— Une grenade ? répondit-il.

— Oui, dis-je, une grenade de la guerre, c’est comme une bombe, faut pas y toucher, ça peut exploser ! »

Alors, Didier proposa de l’emporter chez ses parents… j’ignore pourquoi j’ai accepté, peut-être la fierté de ramener notre découverte ?

Le cousin déposa l’arme dans une des sacoches de son petit vélo et nous prîmes la route. Je le laissai me précéder d’une quinzaine de mètres. De cette distance j’observais, avec inquiétude, les secousses qui agitaient l’arrière de sa bicyclette…

En chemin je regrettais beaucoup notre décision, mesurant de plus en plus le danger, mais il était trop tard les dés étaient jetés.

Didier habitait les communs du château du village. Excités nous gravîmes les escaliers quatre à quatre, mon cousin poussa la porte exhibant la grenade, dans sa main, tel un trophée :

« On a trouvé ça ! lança-t-il fier de lui. »

Ma tante Andrée, Gisèle la gentille propriétaire du château et une autre dame dont j’ai oublié maintenant l’identité étaient là, tranquillement installées, prenant le café.

Un malaise, suivi d’un murmure réprobateur parcourut l’assistance…

Rapidement les trois femmes se levèrent.

« Vous êtes fous ! et toi Marc tu es le plus grand et tu laisses ton cousin toucher à ça, ne te rends-tu donc pas compte ! hurla ma tante. »

Bien oui, j’étais le plus grand, mais je n’avais quand même que dix ans… j’aurais voulu dire que si je n’avais pas été là, il l’aurait fait sauter la grenade le cousin, et lui en même temps, mais à quoi bon, j’étais en faute et je sentais la panique s’installer.

Gisèle, réquisitionna l’arme et descendit les marches prudemment tenant l’objet du délit à bout de bras. Tout ce remue-ménage alerta le locataire du rez-de-chaussée, Edouard le vieux gardien, il se fit remettre la grenade, confirma la dangerosité de l’engin et prit en main la suite des opérations.

L’homme traversa la cour en direction du parc du château, nous le suivions en respectant une bonne distance de sécurité.

Je n’étais pas très rassuré et pensais dans ma petite tête de gosse : « S’ il saute le vieux ça va être ma fête ! » 

— « Il nous faisait peur à nous les enfants, le père Edouard, par son aspect inquiétant : des yeux délavés, des paupières inférieures tombantes et retournées… ainsi qu’un goitre volumineux lui donnant une allure de hamster. Il était souvent de mauvaise humeur, n’aimait guère les gamins et encore moins les chats qu’il trucidait par plaisir. Son jeu préféré consistait à entrebâiller légèrement la lourde porte d’entrée qui permettait aux habitants d’accéder à leurs logements situés aux étages… et dès qu’un félin se glissait dans l’interstice, il la refermait brutalement lui broyant ainsi les os. »

Le gardien arriva finalement au bord de la rivière et balança la grenade… à son « plouf  » dans l’eau succéda un « ouf  » unanime de soulagement.

De nos jours le petit bois a fait place à un parking, subsistent simplement plusieurs groupes d’arbres abritant de leurs feuillages quelques bancs vandalisés.

Une question restera sans réponse, quelle pouvait-être la motivation de la personne ayant déposé cet engin mortel dans un bois fréquenté par des enfants ?

Commentaires de l’ancien blog

Quidam 01/02/2020 16:28

Bonjour, j’espère que vous n’êtes pas un adepte de la pêche à l’aimant !? 🙂

ANDREE 20/07/2011 17:22

Cette histoire est véridique. Nous l’avons vécu tous ensemble. Sur le moment, avec angoisse, ensuite bien sûr, on se pose des questions. Pourquoi laisser un engin de mort dans un
endroit « presque » public. La bêtise certainement !


Dubio 17/04/2011 19:45

Le château de la tante ! Voilà peut-être l’origine de cette passion pour les pièces anciennes… Déjà un formidable décor pour entamer des fouilles dès l’âge de 10 ans.  Quant à la grenade,
fort étrange, en effet… (mais, cette histoire n’est peut-être que fiction)

Dubio (alias Vita…)


 


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