L’Agnel d’Or

Au dessus, vous pouvez, si vous le désirez, écouter de la musique en parcourant cette nouvelle

Encore ce grand chêne vert ! j’étais déjà passé à côté il y a une heure de cela, cette fois je m’ étais bel et bien perdu.

Après déjeuner j’avais quitté notre petite maison de campagne accrochée aux Cévennes, promettant à mon épouse de lui ramener des girolles pour le dîner… mais le soir était là, mon panier était vide et moi j’étais inquiet.

Au fur et à mesure que la clarté baissait la forêt devenait inhospitalière, les arbres prenaient des aspects de créatures inquiétantes, les oiseaux nocturnes se manifestaient un peu partout. Ce n’était pas le fait de dormir à la belle étoile qui m’effrayait, mais plutôt la réaction de ma femme face à ma disparition.

La nuit s’était maintenant installée, des yeux brillaient derrière buissons et arbustes semblant m’espionner, ces visions qui n’étaient certainement que chevreuils ou sangliers se transformaient dans mon imagination en nains hideux et malfaisants. La Lune, par bonheur était pleine et je suivais sans problème ce sentier caillouteux qui ne menait nulle part. Je décidai de le quitter et m’engageai dans un petit chemin escarpé, une chauve-souris volait devant moi comme pour m’ouvrir la voie. Le vent qui s’était levé soufflait de plus en plus fort, les arbres craquaient de façon sinistre.

Tout à coup je fus bousculé par la chute d’une branche, déséquilibré, je dévalai la pente en contrebas du chemin et terminai ma course face contre terre sur un petit plateau. Etourdi, je me relevai péniblement. Une fois debout, je sentis une présence tout près de moi, je me retournai, à quelques mètres, éclairé par un rayon de lune, un jeune homme assis sur un tas de grosses pierres me fixait du regard. Un frisson me parcourut le corps tandis que mon cœur battait à tout rompre.

Le garçon qui ne devait pas avoir plus de seize ans restait immobile, un curieux vêtement de toile épaisse et grossière le couvrait. Ses cheveux longs tombaient en bataille sur des épaules étroites. Un nez épaté et un menton en galoche rendaient son visage ingrat, au niveau de la tempe gauche une affreuse blessure sanguinolente le défigurait.

Je pensai que lui aussi était tombé du chemin. Je me rapprochai et après l’avoir salué de la tête, je m’apprêtai à le questionner. De la main il me fit signe de m’asseoir à ses côtés, ses yeux étaient inexpressifs, son teint blafard.

D’une voix monocorde à peine audible, l’étrange personnage raconta :

« Il se nommait Gaspard, était l’aîné d’une fratrie de sept enfants. Sa mère était morte en couches en même temps que le huitième. Gautier, son père, cultivait un lopin de terre au lieu-dit Les Noues près de Génolhac. La vie était dure et les assiettes souvent vides, lassé par la violence de son géniteur il avait quitté la maison et vivait de menus travaux chez les villageois, couchant dans des granges au hasard de sa route. Il était habile à piéger le petit gibier qu’il monnayait ou troquait contre du pain.

Les gens du château l’ayant surpris à braconner lui avaient fracassé la jambe avec une masse d’arme, depuis Gaspard boitait ce qui lui avait valu le surnom de « Stropié ».

— Bien que très dubitatif je le laissai poursuivre son récit, attribuant au coup sur la tête l’histoire abracadabrante qu’il me livrait…

« Un jour alors qu’il se promenait, Gaspard entendit des cris, il se rapprocha et caché derrière un buisson assista à une scène terrible : deux hommes cagoulés s’en prenaient à un riche marchand, le domestique de celui-ci gisait à terre baignant dans son sang. Les gredins finirent par égorger le commerçant, puis le délestèrent de sa bourse.

Devant le cadavre du marchand ils ouvrirent l’escarcelle, la vision de son contenu les fit bondir de joie, satisfaits d’eux ils entrèrent tranquillement dans la forêt. Stropié les suivit à distance discrètement… Les assassins marchèrent vingt minutes puis s’arrêtèrent au pied d’un grand rocher. Pendant que l’un faisait le guet, l’autre dégagea la terre au pied de la roche, découvrit une pierre plate qui dissimulait une petite cachette et y glissa la bourse après l’avoir embrassée. Les deux hommes retirèrent ensuite leurs cagoules et les jetèrent dans la cache.

Gaspard, à l’abri derrière des fougères, les reconnut aussitôt, les assassins étaient Maurin le forgeron et son aide.

Les complices après avoir vérifié que rien n’était visible repartirent tranquillement.

Gaspard se rua vers la grosse pierre, il trouva facilement l’endroit grâce à la couleur de la terre fraîchement remuée. Rapidement il déterra la bourse, la vida dans sa main ouverte, six monnaies d’argent tombèrent suivies d’une magnifique pièce d’or à « l’agnel » brillant de mille feux. Le jeune homme était ébloui, fasciné. Lui, le gueux, l’infirme moqué de tous, possédait une monnaie d’or…

Des cris résonnèrent, Gaspard tourna la tête, les égorgeurs étaient revenus et fonçaient sur lui menaçants.

Stropié laissa les monnaies d’argent à terre et s’enfuit avec l’agnel d’or, mais son handicap le ralentissait et les bandits étaient rapides, il savait qu’ils allaient le rattraper. Tout en courant l’infirme avala la pièce, continua encore quelques mètres, puis en se retournant sur ses poursuivants ramassa discrètement un caillou en leur criant :

« Vous n’aurez pas l’or ! et de toutes ses forces il expédia le caillou au loin… le geste de Gaspard fit réagir Maurin.

— Tu vas le payer Stropié ! » 

Les brigands se lancèrent sur lui, Gaspard avait déjà son couteau en main, et il savait s’en servir : l’année passée à la foire d’Alès il avait piqué au coeur un bougre qui le menaçait.

L’aide du forgeron, le premier au contact, reçut une longue et profonde estafilade sur la joue. Son maître faisait tournoyer un gros bâton ferré à une extrémité. Stropié esquivait bien et défendait sa vie comme un diable, mais sa jambe malade faiblit, puis plia, aussitôt il fut déséquilibré, c’est le moment que choisit le forgeron pour lui asséner un coup mortel au niveau de la tempe.

Gaspard vacilla, lâcha son couteau et s’étala de tout son long. Les assassins fous de rage s’acharnèrent sur le corps à coups de pieds, puis prirent la décision de cacher leur victime sous des pierres… »

— J’étais atterré par son récit, ne sachant plus que penser… lorsqu’une main se posa sur mon épaule me secouant énergiquement… les égorgeurs m‘attaquaient ! je saisis le bras de l’agresseur violemment !

Une voix s’éleva :

« Aïe, tu me fais mal ! arrête ! réveille-toi, nous sommes en gare de Nîmes ! »  

Je m’étais donc endormi… Gaspard, les assassins, tout n’était qu’un rêve.

J’étais à la fois rassuré et en même temps un peu déçu en ouvrant les yeux, découvrant le wagon et ma femme qui se préparait à en descendre.

Dans le taxi qui nous conduisait à notre maison située dans les environs de Génolhac, j’avais déjà oublié ce curieux rêve et regardant, nez à la vitre, la campagne défiler, je pensais :

« Qu’elles sont belles ces Cévennes avec leurs paysages mille fois changeants enchantant les yeux et le cœur des hommes. Terre pétrie d’histoire et de légendes mystérieuses, pays de créatures maléfiques : loups-garous et roumèques. Cette belle région, au protestantisme bien implanté, fut le théâtre d’embuscades et de combats sanglants opposant les camisards aux dragons de Louis XIV… »

La première semaine de vacances fut consacrée à aménager et décorer notre habitation.

Un matin, alors que j’ouvrais ma boite aux lettres, le chien de la ferme voisine vint me rendre visite. C’était un croisé caniche/bichon de couleur noire dénommé Chiffon, un croc inférieur prognathe lui donnait l’impression de sourire. Remuant la queue en tournant autour de moi, il m’invitait à la promenade, je cédai avec plaisir et le suivis. Il emprunta la voie antique de Régordane devenue chemin de grande randonnée, puis une sente longeant la montagne.

Nous nous étions bien enfoncés dans le massif, et Chiffon avait disparu à la poursuite de quelques gibiers… quand au détour d’un chemin je reconnus le chêne de mon rêve ! Tout me paraissait familier maintenant, le petit chemin était là et un peu plus loin la branche qui m’avait fait perdre l’équilibre et chuter. Je descendis prudemment pour accéder à l’endroit de ma rencontre avec Gaspard.

Sur le plateau je découvris rapidement le tas de pierres, au grand jour cette fois, une souris en sortit, puis disparut dans la mousse épaisse. Sans savoir trop pourquoi, je commençai à enlever les pierres, certaines étaient vraiment lourdes, vingt bonnes minutes plus tard, il ne restait que celles du bas, en les ôtant, j’eus un mouvement instinctif de recul, je venais d’exhumer des ossements, ayant l’esprit cartésien je pensai qu’un animal avait été enterré là par son maître.

Mais la découverte, quelques minutes plus tard, du crâne mêlé à de la terre ne laissa plus aucun doute sur l’appartenance du squelette à l’espèce humaine.

Qui pouvait être enterré à cet endroit, loin de tout ?… J’eus la réponse rapidement, en dégageant les côtes je mis au jour une chose qui me fit sursauter et pâlir, un objet qui remettait en cause toute rationalité et me laissait dans un profond questionnement.

Je venais de découvrir une monnaie, une pièce qui simplement frottée entre mes doigts brillait comme six cents ans auparavant dans la main de Gaspard : l’agnel d’or !

Stropié s’était-il vraiment manifesté à moi, me guidant jusqu’ici, ou était-ce simplement l’œuvre du hasard ?

Je mis longtemps à la réflexion, assis au pied d’un châtaigner, fixant du regard la tombe…

Finalement je récupérai les restes un à un, me servant de ma veste comme d’un baluchon et rebroussai chemin. Cela me semblait si extraordinaire et si irréel que je me surpris à me pincer pour vérifier que je ne rêvais pas encore une fois.

En début de soirée, un grand sac à la main, je sonnai à la porte du presbytère du village. Bien que je ne fasse pas partie de ses ouailles, ni adepte de ses préceptes, le vieux curé me reçut chaleureusement.

Assis devant un café je contai mon aventure, le prêtre écouta mon récit avec attention. Cet homme affable était aussi un historien passionné par la période moyenâgeuse. Je passai un excellent moment en sa compagnie, il m’engagea même à lui rendre visite à l’occasion.

En me raccompagnant il m’assura que Gaspard aurait une sépulture décente et qu’il prierait pour le repos de cette âme tourmentée.

Je le remerciai et pour ses bonnes œuvres, je fis don de la monnaie d’or.

Les vacances étaient maintenant terminées, le taxi traversait le village nous emportant vers la gare de Nîmes.

Soudain, à la sortie du virage face au cimetière… je vis Gaspard ! il était là, au milieu de la route avec Chiffon.

Le chauffeur freina, s’arrêtant à un mètre d’eux.

« Le voyez-vous ? m’écriai-je excité. 

— Bien oui ! c’est le chien de la ferme, répondit mon épouse.

J’étais donc le seul à le voir !… je n’insistai pas et murmurai :

— Oui, c’est Chiffon … rien d’autre ! »

 

Le véhicule redémarra, je regardai Gaspard fixement, il me sourit en saluant de la main, peu à peu l’apparition s’étiola puis disparut complètement, comme volatilisée.

Commentaires de l’ancien blog

— Matiaurele 10/01/2020 09:12

Bonjour Gino,

Je viens de lire  » l’agnel d’or  » sur ton site … un régal de lecture … je le conseille à tous les chercheurs de trésors qui ont gardé leur âme d’enfant ….

Frédéric des Ormeaux 11/05/2019 8:20

Bonjour Marc ,
Quel dommage que tu n alimentes plus ce blog..!
J aime beaucoup les récits et ton écriture .
Mais comme il n y a pas de hasard, j aurai le plaisir de t’écouter me narrer la prochaine histoire.

Frédéric

francine 11/07/2011 08:49

coucou Marco

j’ai bien aimé celle du moustique qui m’a bien fait rire j’imaginais la scène (je suis sure qu’elle est vraie), mais celle
ci l’agnel d’or est trop belle!!!!!

continue mon petit Marco c’est très bien
bises


paola 17/11/2010 22:44

Cela fait un petit moment que je passe de temps en temps alors un mot pour dire que j’aime ce que j’y trouve : des mots, des paysages, des personnages, surtout…. j’apprécie cette simplicité et ce rythme lent. 


JP 13/11/2010 17:29

Nous voici en présence d’un beau conteur cévenol.

As-tu songé à publier ? Cela me rappelle une tranche de ma vie, à PSE, où mes amitiés m’ont poussé à rencontrer cette chaleur humaine des Cévennes, chaleur réservée et protestante, mais riche de
toute l’histoire locale.

Merci de cette nostalgie que tu introduis dans tes contes.

JP







 


 


 


 


 








 


 


 


Commentaires

  1. Aurélie says:

    Cela donne envie d’aller dans les Cévennes ! Grâce à ton récit, on croit y être

    1. Marc Gino says:

      Merci Aurélie pour ce commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *